Jeux et médias: des raisons d'espérer


A titre d'exemple, le très vénérable quotidien Le Monde consacrait la semaine dernière pas moins de trois articles assez long au sujet. Le premier, le plus anecdotique, traitait d’un jeu des sept familles prenant en compte les évolution contemporaines mises en débat actuellement (et intégrant “l’amie de maman”, “les enfants du beau père”; le second rapportait une expérience dans laquelle le jeu était envisagé comme possibilité d’améliorer la vente de voiture chez les commerciaux. Le troisième, bien documenté, traitait de la question des mutations actuelles dans la création de jeu vidéo dans un contexte de dématérialisation et de nouveaux supports. (L'on y apprenait, entres autres choses très intéressantes, que "ce qui rapporte le plus, en ce moment, c'est la gratuité".) Il est probable aussi que, comme la télévision, ils aient un peu glosé sur ces gens qui "jouent" à simuler le Vendée Globe. On est en droit, bien sûr, de trouver cela très décevant au regard de la richesse des jeux; à l'inverse, il est également possible de noter la récurrence du sujetla place occupée à coté des problèmes de l'Euribor ou des grandes écoles, ainsi que le sérieux du traitement et le ton très sérieux employés.
Aussi, par excès d’impatience, l’amateur de jeu de société qui scruterait le petit écran et la presse à la recherche d’information sur sa passion s’exposera souvent à des déceptions. Souvent, les retours sont qu’on en parle pas assez, ou trop ou mal. Il est frappant de voir ces réactions sincèrement déçues sur les forums quand la promesse d'entendre parler de jeux de société sur M6 se termine en eau de boudin. Plus inquiétant encore, le fait que des gens s'enthousiasment d’apercevoir trois secondes de Time's up en contrechamp dans un sujet de trois minutes. C’est à se demander ce que ces spectateurs en attendaient et s’ils n’en demandaient pas trop au médias. Que les éditeurs apprécient que des images de leur jeu passent par Télématin, même tronquées, même nulles, c'est tout à fait compréhensible. Mais les joueurs ? Pourquoi espérer de la télévision autre chose que ce qu'elle peut donner ?
Cependant, quelques éléments pourraient donner des raisons d’espérer. Premièrement, le fait que de belles exceptions existent comme: les chroniques et les articles épisodiques de Olivier Séguret dans le quotidien national Libération (www.ecrans.fr/_Olivier-Seguret.html); le dossier récent que le l'hebdomadaire Le petit Bulletin consacrait au blockbuster francophone Dishonored (www.petit-bulletin.fr/pdf/1_686.pdf) et qui constituait un exercice critique solide et bien construit, tel qu'on aimerait en lire plus souvent sur les jeux de société; l’intervention souvent assez pertinente de Monsieur Phal du site Tric Trac chez Libélabo; le blog de Martin Vidberg (www.laselectiondudimanche.com), Games Stars, l’émission spécialisée sur Poker Stars (Games Stars, trouvable sur Daylymotion). Ces initiatives donnent l’impression que un autre discours creuse inéluctablement son sillon et qu'en outre il est autorisé de porter un autre regard sur les jeux. L'élément le plus significatif, réside aussi dans conquête de nouveaux territoires : il est possible aussi de gagner des sillons et des audiences qui n'étaient pas occupés avant: Un blog hébergé par Le Monde; Libération; une chaîne de poker, etc.

Troisièmement, il ne faut pas oublier, comme me le rappelait récemment Starvince que nous en sommes à la deuxième génération d'adolescents (la première étant celle des trentenaire-quarantenaires qui constitue actuellement le gros bataillon des fans "hardcore" de jeu de société) qui a grandit, par l'entremise de l'explosion des PC et des consoles de salon, avec le jeu comme élément quotidien, naturel, important de leur environnement, presque un droit. Le jeu, pour eux, pour nous, n'est plus nécessairement cet objet infantile qu'on lâche avec l'entrée dans l'âge adulte et le sérieux qui va avec. Qui plus est, l'univers proposé s'avère, du fait de l'évolution économique, beaucoup plus riche, complexe et varié qu'auparavant. Pour eux, cet environnement ludique est devenu aussi naturel que la télévision, que l'omniprésence de l'image, la circulation de l'information. La troisième génération inscrite dans ce que l'on pourrait considérer comme un nouveau paradigme se prépare. On peut donc penser que le marché à de belles marges de progression si tant est que des passerelles sont possibles de l'un à l'autre monde. Et si tant est qu'au moment d'un mariage, de la constitution d'une famille, ils abandonneront les MMMROPGS (je sais jamais comment l'écrire) pour une transition toute naturelle vers un Olympos qui dure 1h20 installation comprise. Naturellement, avec un peu d'optimisme, on peut penser qu'il y aura toujours besoin, dans le même temps, d'un discours critique et analytique, ou du moins qui tente de faire oeuvre de synthèse, sur le sujet.
Enfin, on peut relever aussi le fait que, via la dématérialisation, les frontières naturelles entre jeux vidéos et jeu de société s’estompent. Les uns abandonnent, au moins en partie, la fuite en avant vers toujours plus de puissance et de technique pour aller vers des choses différentes -- voir le succès de la Wii, de Journey, d’Angry Birds, des créateurs indépendants -- qui mettent en avant des univers riches et complexes, l'interactivité, le social; les seconds se transposent de plus en plus par les tablettes en complément des versions carton. L’esthétique des deux mondes se se rapproche et leur opposition historique s’estompe (voir la présentation de la version Ipad de Eclipse, qui emprunte aux jeux vidéos). Nous ne sommes plus dans un rapport jeu de société "contre" jeu vidéo, mais dans un métissage de plus en plus flagrant, ou du moins un rapprochement. D’autant que, comme nous le notions plus haut, la dimension de plus en plus “de société” des jeux vidéos -- voir le lancement de la Wii U -- contribue à les rapprocher autour d’enjeux communs. Est-ce que l’on pourrait extrapoler, à partir de là, que les JDS pourraient se faire une place au soleil ? Ou est-ce un doux rêve mélancolique ?

8 commentaires
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Fred Frenay 18:14 23.11.2012Merci. Article très intéressant.
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07:55 24.11.2012
Très riche article et analyse, bravo !
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17:24 24.11.2012
Et si le rôle d'un "Masque et la Plume" était tenu par les clubs de jeu auxquels beaucoup d'entre nous appartiennent?
Nous y jouons, y décidons si les jeux nous plaisent, sont amusants à jouer, sont utiles à la société.
Il y a, dans l'espace francophone, peu de club littéraire ou cinématographique, qui sont par essence des activités solitaires. Je n'ai pas de statistiques, mais je pense qu'il y a plus de club de jeu de société que de café littéraire ou d'associations de ciné club.
Le travail est déjà fait, mais pas en direct dans les médias finalement. -
07:45 25.11.2012
C'est un point de vue intéressant en effet.
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16:25 26.11.2012
Bel article, riche et pertinent.
Le marché du jeu de société étant en croissance régulière, je ne doute pas que la place qu'il occupe médiatiquement ira dans le même sens. Pour les articles de fond, pour l'instant je me contente de te lire, Damien !
PS : encore une initiative nouvelle : un "débat" sur Trictrac : http://www.trictrac.fr/index.php3?id=jeux&rub=actualite&inf=detail&ref=11921
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21:13 26.11.2012
Merci JB.
L'initiative de Tric Trac est en effet intéressante. -
17:32 27.11.2012
Super article, chapeau.
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15:09 28.11.2012
Je me joins au concert de louanges, merci Damien pour cet article et les réflexions qui l'accompagnent