Revue des médias # 1: "Antagonismes"

Toujours est-il que la sortie du numéro 2 confirme toutes les qualités et les limites de l'entreprise. Tout cela est joliment mis en page, l'abord est assez agréable; le constat s'impose pourtant: la production de magazine PDF semble toujours poser des problèmes de lecture insolubles, renforcés ici par certains choix esthétiques (les pages sur Myrmes, notamment). Les articles sont variés, certains assez intéressants, à l'image des pages stratégiques de Grunt qui auraient pu se trouver sans problème dans un "vrai" magazine, d'autres plus dispensables. Pourtant, maintenant que la surprise du premier numéro est passé, un sentiment de frustration domine. Les entretiens avec Yohann Levet et, surtout, Dominique Ehrard, centrés sur leurs dernières productions, donnent envie d'en savoir plus. Quant on sait de quoi ce dernier est capable (voir ce long entretien par exemple) c'est dommage. Il en va de même pour les propos de William Attia sur l'histoire de Caylus. Ils sont d'autant plus précieux qu'à l'instar de Carl Chudyk, cet homme se fait rare. Mais l'on aurait aimé que cela soit plus long, qu'il nous explique par exemple pourquoi selon lui Amun Re est un chef d'oeuvre, une piste qu'il laisse ouverte. On aurait aussi aimé le voir questionner sur le fait qu'il ne semble pas lui-même vouloir proposer un concurrent à Caylus, puisqu'il propose depuis des choses plus légères. Goût personnel ? Changement du marché ? Panne d'inspiration ? On aurait aussi aimé savoir ce qu'il pense de la version ipad. Toutes ces questions ne sont pas posées. Reste qu'il est louable de se pencher sur le passé (quoique Caylus soit encore en vente...) et que cette lecture complète pourtant très agréablement le journal d'un testeur tenu par Grunt sur le site de l'éditeur, autre initiative bienvenue.

C'est un peu les limites de l'exercice. Quel intérêt, par exemple, pour l'éditeur de revenir sur Sylla, autre jeu du même auteur préalablement publié et qui n'a pas bien fonctionné ? Non seulement il n'est plus à vendre, mais ne serait-ce pas suicidaire de placer Serenessima sous d'aussi mauvaises auspices ? C'est sans doute à ce genre de choses, des raccourcis, des évitements, que se marque la différence avec un magazine commercial, plus que dans le style graphique ou dans les formes (entretiens, guides, encadrés, photographies, couverture, ours) qui sont tous deux absolument mimétiques. A ce propos, il est amusant de constater que la publication ne se contente pas de prendre les formes et le ton d'un magazine, elle en adopte aussi les objets spécifiques. Ainsi, la production d'un "bonus" pour Myrmes, alors même que l'éditeur avait fait le choix de ne pas le proposer à Essen et semblait même assez réticent quant à cette pratique. Mais ne boudons pas notre plaisir: c'est une lecture agréable. Et gratuite. Qu'on lit et "zappe" avec d'autant plus de facilité.

L'éditeur, par cette pirouette habile, démine la question avant qu'elle ne soit posée; mais celle-ci n'en reste pas moins entière. Et très actuelle. Qu'est-ce qui pousse les éditeurs (Edge, Asmodee) à emprunter les codes de médias télévisuels et journalistiques pour faire du publireportage et le proposer au lecteur de manière gratuite, comme on le fait avec des échantillons de produit ? Et quels effets sur les médias qui proposent (ce qui semble à première vue) la même chose en le faisant payer ? On sait, depuis quelques temps, l'effet délétère des journaux gratuits sur la presse quotidienne (quoique Libération annonce de bons chiffres). Leur enthousiasme et leur honnêteté n'est pas en cause, d'autant que, répétons-le, les gens d'Ystari résolvent le dilemme avec élégance. Mais sans doute que la question s'est posée depuis les magazines spécialisés puisque le lancement du premier numéro s'est fait dans une époque qui voyait la disparition de JSP. Ironie de l'histoire, le numéro 2 arrive dans un moment où l'on parle de la fin du magazine anglais Counter, que je ne connais pas du tout mais dont on me disait beaucoup de bien. La coïncidence s'impose, frappante.






Même pour qui ne comprendrait pas un traître mot d'anglais, et se refuserait à utiliser googletrad, le graphique est éloquent. Changements dans la nature d'internet, transformation radicale du marché du jeu vidéo, annonce d'une télévision You Tube, questionnements autour de la presse (comme le bras de fer autour de la taxe Google l'a mis en scène), et cela n'est pas fini. C'est pourquoi, à mon avis, les gens de Tric Trac ont le nez creux: derrière les pitres affleurent les visionnaires.
4 commentaires
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Olaf 21:52 04.12.2012
Je suis d'accord avec ta conclusion, TricTrac à su générer suffisamment d'envies/ d'affectifs autour de la chose ludique, pour pousser une partie de la communauté à financer plus avant leur passion chérie. Cela est dû je pense en partie car leur démarche sincères à pu être validé par certain, grâce à la mise en perspective d'autres média ( type podcast par ex).
J'en sais quelque chose puisque je souhaite participer.
Il me semble que yandrevh a été un pionnier involontaire, lorsqu'il a fait un appel aux dons pour renouveler son matos, suite à des péripéties persos, et qu'il a eu un retour positif.
Merci pour ton article -
14:15 06.12.2012
Bonjour,
Je trouve cet article intéressant. Mais je ne trouve pas qu'il apporte des éléments a la problématique. Beaucoup de questionnement mais pas beaucoup de prise de position.
Le problème de la presse écrite, son prix, son manque d’immédiateté face a la concurrence web moins chère et directe n'est pas nouveau, et le jeu de société n'y coupe pas.
Si je cherche a lire entre les lignes, je dirais que le constat n'est plus possible a remettre en cause, car le "business model" de la presse papier spécialisée est en instance de mort. Il est supplante par la nouveauté, la publicité, la consommation, ce qu'on appelle plus couramment, le buzz. C'est un système win-win. La pub génère de l argent, mais elle augmente aussi le nombre de visites, qui attire de nouveaux investisseurs. CQFD
Balancez toute une campagne de martellement pour un produit plus cher et il sera acheté même s'il est plus moisi que son concurrent.
Nous sommes dans l’ère de l'information (et de la désinformation) le contenu n'importe plus. Et nous avons l'impression de ne plus payer le contenu. Erreur ! car nous le payons implicitement par le produit final que nous achetons.
Je ne dirais pas que Trictrac a eu le nez creux, je dirais que TT a su construire un modèle économique viable de nos jours et continue a le développer dans le bon sens pour générer des revenus. En bref, nous avons affaire a des professionnels, ce qui est rare dans le monde du jeu. Et ce qui est aussi un avantage pour TT.
Voila mon avis extérieur au business, mais travaillant dans un business autrement plus compétitif. -
17:58 06.12.2012
Merci de vos réactions. Cette rubrique n'a pas d'autre but que de provoquer ce genre de débat. Donc, je suis content. Pour le reste, je ne suis pas trop d'accord. Le modèle n'est pas univoque. La presse invente des nouvelles choses -- je cite souvent la revue XXI en exemple... -- et le web (ou les ipad) est parfois un peu dans la panade quand il s'agit de vendre du contenu. Et puis, j'y reviendrais, il y a plein de choses que le web ne peut, par nature, pas faire. Lire des longs reportages sur le web est pénible. Mais, comme tu le soulignes bien, est-ce qu'il y a des gens prêts à payer pour ça ?
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11:54 07.12.2012
>Mais, comme tu le soulignes bien, est-ce qu'il y a des gens prêts à payer pour ça ?
Si on prend comme exemple arretsurimages.com, le modèle économique peut sembler viable. Articles de fond + reportages/analyses/discussions.
Cela fait un moment (2010 effectivement) que Michael Wolff soutient cette idée que le web est mort, que la généralisation des applications a tué toute la saveur d'internet. Il a depuis, il me semble, adouci son propos. Je pense qu'au contraire c'est plus la définition/désignation du mainstream-subversif qui a évolué et qu'au contraire il existe tout un vivier "web" encore plus vivace qu'avant.